Avril 2001 - Saint Pétersbourg « Relève-toi… » Ma mâchoire me fait mal. Je suis allongée sur se foutu tapis et j’aimerai pouvoir fermer les yeux et me retrouver ailleurs lorsque je les rouvrirai. Mais ce n’est pas possible. Je suis dans ce foutu entrepôt, caché on ne sait où au fin fond de la Russie, et je m’entraine ou plutôt je me prends des tannées dans la gueule depuis dix ans.
« Yekatherina, relève-toi ! Et va prendre ce putain de colt ! » Mon père, Alexander Zakhraov me hurle dessus tandis que la douleur irradie dans tout mon corps. Parfois j’aimerai tellement être née ailleurs, dans une autre famille, dans un autre pays, dans une autre époque, mais certainement pas au sein de la mafia russe. Mon père est le chef de clan de la Podolskaïa une organisation criminelle réputée en Russie pour son traffic d’armes, de drogues et de femmes. Sans compter toutes les magouilles annexes. Les règlements de compte sont mon quotidien. Et si je ne m’entraine pas, si je n’aide pas mon père, je ne suis qu’un poids mort, une faiblesse pour lui. Lui qui voulait un garçon, il n’a eu qu’une fille. Ma mère est morte en couche en me donnant naissance, avant de pouvoir donner un fils à mon père. Ce dernier aimait ma mère comme un fou, elle était l’amour de sa vie, et il me tient responsable de la mort de sa femme, évidemment. Alors il s’acharne sur moi, il s’exhorte à faire de moi un homme, ou du moins à faire en sorte que je me comporte comme un homme. Il n’y a que très peu de place pour les femmes au sein de la mafia, tout du moins, celles-ci restent dans l’ombre.
« J’arrive plus à respirer papa… » Il soupire et siffle entre ses dents tout en détournant de moi. J’ai l’impression de n’être qu’un fardeau, la pire erreur de sa vie. Mais il veut faire de moi son arme, un atout de plus, un bon petit soldat. Alors je me relève en me tenant les côtes et je vais saisir cette putain d’arme de poing. Je voudrais la braquer sur mon géniteur, je voudrais presser la détente et voir la balle partir pour transpercer le corps de mon père, je voudrais le voir tomber au sol lourdement et laisser le sang couler et … Mais je n’en fais rien, je fixe la cible contre le mur, inspire longuement avant d’expulser tout l’air de mes poumons puis j’appuie et la balle fuse en direction de la cible. Je le suis déjà, ce bon petit soldat.
Septembre 2009 - Saint Pétersbourg, Russie « Qu’est-ce-que tu fous là… » Dek est assis en face de moi et me fixe de son regard noir. J’ai l’impression de le voir penser. J’ai encore jamais vu de ma vie ce genre de mec, et pourtant, j’en côtoie des mecs louches. Mais lui… Il a quelque chose dans le regard qui met mal à l’aise, qui dérange. Il a cette expression qui donne l’impression qu’il va nous sauter à la gorge. Il a débarqué y’a pas longtemps, il s’est pointé comme une fleur, personne n’a rien compris, sauf mon père qui y a bien trouvé son compte. Dek c’est le genre de mec qui trempe dans de sales affaires et qui trimbalent de sacrées casseroles. Il est bien tombé. Les coudes posés sur la table, je me penche un peu en avant dans sa direction, les seins reposant sur le bois :
« T’as besoin de tunes … ?! » C’est plus une affirmation qu’une question. Je commence à avoir le nez pour repérer ce genre de personne; Y’a un truc dans leur regard, dans leur façon d’être, dans leur langage corporel.
« J’l’ai le fric, mais si je t’aide, j’veux un truc en retour, tu sais comment ça marche ! » Il me regarde avec son air affable plaqué sur le visage. Je me lève et fais le tour pour m’approcher de lui. C’est le genre de mec qui est plutôt bien foutu, le genre de mec sur qui tu peux te retourner dans la rue, mais son regard fou … Son regard fou te désarme, te fait flipper. C’est le genre de mec qui pensent à certaines choses, des choses que tu ne veux pas savoir du tout ! Il n’aime pas les gens. Je me plante devant lui et il lève à peine son regard vers moi. Ma main s’abat violemment sur sa joue. La gifle résonne dans la pièce, les quelques personnes qui sont autour de nous, nous jettent un petit coup d’oeil, évaluent la situation pour savoir s’ils doivent défoncer la gueule de Dek si ça dérape. La tête de ce dernière valse en arrière sous la puissance du coup, et de la surprise. Puis rapidement je lui donne un coup de poing puis un autre et je suis arrêtée dans mon geste lorsqu’il se lève pour me dominer. Il est grand et costaud, son corps est parfaitement sculpté, il est capable de faire mal. Je souris.
« Espèce de sale petasse ! » Et les rôles s’inversent rapidement. Je reçois un coup de poing dans le ventre qui me fait reculer et hurler de douleur. Je fais rapidement un petit signe aux mecs autour de nous pour les empêcher d’intervenir. Je maitrise la situation. Un immense sourire, le genre de sourire carnassier, s’affiche sur mon visage tandis que je relève la tête dans sa direction.
« Tu me plais Dek ! » J’oublie rapidement la douleur qui se diffuse dans mon abdomen, j’ai l’habitude d’avoir mal, j’apprends toujours à faire abstraction de la douleur. Le travail est long. Il se rapproche de moi et me regarde de haut, un tic nerveux agite sa lèvre inférieure. Il n’a pas peur de cogner une gonzesse, ça me plait. J’ai pas besoin d’avoir une fiotte à mes côtés.
« T’es un putain d’enfoiré… Demain t’as la tune Dek, mais oublie pas … » C’est une promesse silencieuse qu’il me fait. Je sauve son cul. Il m’en devra une et dans ce milieu, le prix est cher.
Décembre 2012 - Moscou, Russie « Où tu les as foutues, putain ? Te fous pas de ma gueule … » Je lui hurle, le visage à quelques centimètres du sien. Dek et Igor le tenant à genoux au sol, l’un et l’autre lui bloquant les bras dans le dos, un pied sur chacun de ses jambes pour l’empêcher de bouger. L’homme à terre a le visage tuméfié, le sang macule son visage mais il garde ce putain de sourire sur les lèvres. Je lui attrape les cheveux et lui tire la tête en arrière, le regard mauvais :
« T’as peur de rien, pas vrai ? T’as pas peur de la mort, non … T’as raison la mort est trop simple, trop rapide. Tu devrais avoir peur de nous, de moi… » Il rit et je me redresse pour relâcher sa tête en la projetant en arrière, sa nuque craque. Il n’est plus tout jeune. Je jette un coup d’oeil au reste des hommes qui se trouve autour de nous. Les hommes de mon père, ceux qui m’accompagnent la plus part du temps - même si Dek ne me quittent pas d’une semelle. Je me détourne des trois hommes et fais le tour du garage dans lequel nous nous trouvons. J’entends l’autre enfoiré rire dans mon dos, il se fout de moi, il ne me croit pas capable d’être violente, il se demande ce que fout une gonzesse parmi ces hommes à l’allure de bulldozer et à la mine patibulaire. Mais il ne sait pas qui je suis, il ne sait pas où j’ai grandi et comment, et surtout il ne sait pas qui m’a élevée. Soudain son rire me tape sur le système et me fait voir rouge :
« Tu trouveras pas ce que tu cherches pétasse. Ou alors viens par là, j’ai p’tête ce que tu cherchais dans le caleçon … » Dek n’hésite pas une seule seconde et son poing vole dans la face de raclure du mec. J’approche d’une étagère que je balais à l’aide mon bras en hurlant de rage. Je ne suis pas très énervée en réalité, c’est juste que ça me fait du bien d’hurler. Puis ça les effraie un peu en fait. Puis je reviens vers lui, aggressive. Je lui attrape le visage avec mes deux mains et place mes pouces sur ses yeux avant d’appuyer :
« Où est la came espèce de fils de pute ?! » Je hurle, ma voix est rendue rauque par la colère et je sens Dek se crisper à mes côtés, serrant un peu plus le bras de l’homme. Ce dernier se met à hurler lui aussi, je sens la douleur tendre son corps tout entier :
« Je sais pas, putain, je sais pas. J’ai jamais su !! J’vous le jure, j’ai jamais su !! Ils ont jamais voulu me dire où ils se barraient… » Je relâche la pression sur ses yeux et recule d’un pas tout en faisant un hochement de tête en direction des deux hommes qui le relâchent finalement. L’homme s’effondre au sol et les autres hommes qui se trouvent un peu plus loin se rapprochent de nous, sans aucun bruit. Je donne un coup de pied à la lopette au sol :
« Ecoute moi bien espèce de sous merde, t’as le choix. Soit tu restes en vie, soit tu crèves. » L’homme relève vivement la tête et me regarde, les yeux pétillants de reconnaissance, il semble soulagé. C’est à mon tour de sourire. Ce genre de sourire cruel, qui cache quelque chose. Dek ricane à mes côtés, les bras croisés sur le torse.
« Non j’ai une meilleure idée les gars, j’pense qu’elle vous plaira plus les mecs… » Je vois les mines réjouies de mes congénères. Cependant le visage de l’autre s’affaisse.
« On va faire un petit jeu … Tous mes gars, contre toi. 10 contre 1, le combat ne risque pas d’être long. Ils te frappent, si tu te relèves t’es libre, sinon, t’es mort… Qu’est-ce que t’en dis ? J’te laisse une chance de t’en tirer, j’suis du genre trop sympa, ça me perdra. Mon père, Alexander Zakhraov n’arrête pas de me le dire… ! Je secoue la tête, l’air dépité, tout en haussant les épaules. L’homme semble faire le rapprochement et ses yeux s’écarquillent tandis qu’il commence à me supplier, les hommes se rapprochant de plus en plus de lui. Il est foutu.
Juin 2014 - Moscou, RussieJe me sentais vivante. J’avais l’impression de respirer pour la première fois. Miroslav posait son regard sur moi et mon coeur se mettait à battre, si fort, si vite dans ma cage thoracique que j’avais l’impression de défaillir à chaque fois. Il me rendait vivante, il me faisait me sentir femme, pour lui j’étais Yekatherina et non l’un des hommes de main d’Alexander Zakhraov. Depuis quelques mois déjà nous nous retrouvions en dehors de la ville, dans un endroit pommé et où aucune personne de nos clans respectifs n’allait jamais. Miroslav faisait partie de la Leninskaïa, une organisation basée à Moscou également, mais surtout l’organisation concurrente de la mienne. On s’était rencontrés dans un bar, j’étais tombée sous son charme. Il m’avait séduite, m’avait amenée dans son lit où nous avions fait l’amour pendant des heures, puis nous nous étions séparés pour mieux nous retrouver des jours plus tard. Et nous avons été incapables de nous séparer. Tout était parfait. C’était la première fois que je tombais amoureuse. Oh j’avais eu de nombreuses conquêtes, et question sexualité j’étais sur le marché depuis mes 14 ans, mon père avait eu l’idée de « m’offrir » à certains de ses collaborateurs, et j’avais toujours trouvé ça normal. Après tout, il vendait des femmes ou plutôt des jeunes filles. Mais Miroslav. Miroslav était l’homme parfait, il m’a fait découvrir les plaisirs charnels et le sexe avec une personne pour qui on éprouve des sentiments. Nous nous voyons toujours dans des endroits reculés, je ne voulais pas le mêler à mes histoires, et encore moins que mon père soit au courant que j’avais une liaison avec un homme qui ne faisait pas partie de notre organisation. Miroslav était le genre d’homme sur de lui, parfois imbu de sa personne, il savait qu’il était beau - merveilleusement beau même, avec ses yeux verts, ses pommettes hautes et sa bouche, ses lèvres charnues… Je frissonnais rien qu’en pensant à lui - il était cruel et bagarreur, il me ressemblait. Et je l’aimais. Puis un jour, il m’a avoué. Il m’a avoué d’où il venait, qu’il faisait partie de cette organisation criminelle concurrente de la mienne. Mais ça n’a rien changé. Je l’aimais. Je l’aimais tellement. Jamais je n’aurais pu me séparer de lui.
« Viens avec moi bébé, cassons-nous d’ici, partons loin de toute cette merde … » Me dit-il de sa voix caverneuse tout en écartant mes cuisses pour se glisser entre elle se coucher sur moi. La chaleur de sa peau réchauffait tout mon corps, toute mon âme. Je lui caressais la joue avant de glisser ma main dans ses cheveux blonds. Il était beau comme un dieu.
« Je te suivrais au bout du monde Miro, tu le sais. Les yeux fermés. Je te veux, jusqu’à la fin de mes jours… » Ses yeux ont fixé mes lèvres tandis que je parlais. Puis une fois que je me suis tu, ses yeux se sont plantés dans les miens et j’y ai lu… j’y ai lu des choses que j’étais incapable de nommer.
« Merde Kath, j’suis amoureux… Qu’est-ce-que tu m’as fait putain ?! » Tout mon être s’est mis à vibrer tandis qu’il enfonçait son membre en moi jusqu’à la garde. Il m’a fait l’amour comme jamais, nous avons fusionné ce jour là. J’ai ressenti des milliards de choses, comme si je pouvais également sentir ce qu’il ressentait lui aussi. C’était complètement dingue. Il avait fissuré ma carapace, pour toujours.
Février 2015 - Moscou, RussieJe tremble si fort que j’entends mes dents claquer. Je ne suis pas du genre à avoir peur. Mais là. Là je suis en train de mourir de l’intérieur. Mon père tient Miroslav par les cheveux, une lame coincée sous sa gorge. Cette gorge que j’ai tant de fois embrassée, que j’ai lèchée, sentie. Non.
« LÂÂCHE LE !!! ALEXANDER LACHE LE JE T’EN PRIE ! » Je hurle comme une démente sur mon père, tous les hommes autour de nous baissent la tête. Je voudrais lui sauter dessus, je voudrais lui arracher cette foutue arme des mains. Je voudrais l’abattre. Oh comme j’aurais aimé avoir appuyé sur cette détente des années auparavant. Mais des bras me retiennent fermement, me plaquent contre un torse musclé, en béton, et malgré mes ruades et mes coups de pieds, la poigne ne faiblit pas. Je hurle, je crie comme une démente. Je ne suis plus moi même, je ne suis plus cette femme de marbre qui ne ressent rien pour personne. Non, je suis cette femme amoureuse qui voit l’homme de sa vie en sang, le visage tuméfié, le corps endolori, une lame tranchante collée sur sa peau, prête à lui trancher la gorge. Les larmes coulent sur mes joues, inondent mon décolleté. Je cherche du regard Dek mais il n’est pas là, bien sur, il m’aurait aidé sinon. Il connait Miro depuis longtemps, ils ont été amis, ils sont amis. Non.
« NON ! » Alexander plonge son regard dans le mien, un sourire mauvais sur les lèvres, la haine déformant son visage :
« Qu’est-ce-que tu croyais Yekatherina ? Que tu pouvais te faire sauter par ce fils de chien sans que rien ne se passe ? Tu aurais voulu que je te donne ma bénédiction ? » Il lâche Miro pour s’approcher de moi et presser la lame contre ma gorge. Cette même lame qui se trouvait contre le cou de mon amour. Putain. Je ferme les yeux.
« Espèce de petite trainée… Je pensais t’avoir mieux élevée. » Il attrape ma mâchoire et la serre violemment avant de me lâcher et de reculer. Puis tout se passe beaucoup trop vite. Je sais ce qu’il va faire. Je le connais trop bien. Je me cabre :
« Non non non, lâche moi, putain, non Alexander ! Je te promets de plus jamais le voir, laisse le, pitié, c’est moi … Papa, pitié ! » Je n’ai jamais supplié personne, encore moins mon père. Mais, à situation désespérée, solution désespérée. Je ne peux tout simplement pas voir l’homme de ma vie mourir. Non j’en suis incapable. Je préfère encore que mon père s’en prenne à moi. Mon regard glisse vers Miroslav, au sol, les mains attachées dans le dos, le visage couvert de sang. Je ne distingue même plus la couleur de sa peau. Il me regarde, plonge son regard dans le mien et semble me dire que tout ira bien. Non, non tout n’ira pas bien. Nous avons merdé. On a tout foiré.
« Vous pensiez que je ne le découvrirais pas… Hein, espèce de fils de pute, tu pensais que tu pouvais sauter ma fille sans que j’en sache rien… C’est fini. » Mon père sort son arme, et tandis que je hurle de toutes mes forces, tandis que je tente de me libérer, Miroslav m’offre un dernier baiser et me sourit :
« Je t’aime Kath ! » Ose-t-il me dire. Les mots volent jusqu’à moi, entoure mon coeur tandis que le coup de feu part. La balle traverse le crâne de Miroslav, des gouttes de sang volent jusqu’à moi, son corps tombe lourdement par terre, et mon père lui tirent de nouveau plusieurs fois dans le corps, criblant ce dernier de balles.
« NOOOOON » On me relâche alors et je cours vers le corps sans vie de Miroslav qui baigne dans une marre de sang. Je l’ai perdu. A tout jamais. Mon père a anéanti tout ce qui me rendait bonne, tout ce qui éclairait ma vie, qui amoindrissait la noirceur qui m'obscurcit.
De nos jours - Moscou, RussieSeulement, la vie continue. Je ne peux plus me laisser aller. Je rêve de tuer mon père mais des milliards de choses m'en empêchent. Pourtant, si je pouvais, je n'hésiterai pas un seul instant, si je pouvais remonter quelques années auparavant, si je pouvais me retrouver de nouveau face à mon père, le colt dans la main ... Je n'hésiterai pas à appuyer sur la détente. Mais je dois me barricader. La douleur est trop puissante. La douleur est une faiblesse. Personne ne doit savoir que je souffre, que je suis anéantie. Personne ne doit connaitre mes faiblesses, ils en profiteraient. Je dois rester forte. Garder ce masque impénétrable. Toujours. Et il y a cet homme. Cet être qui me rend dingue, qui me fait éprouver des choses, qui ranime quelque chose en moi, qui me fait hérisser les poils. Je voudrais, parfois, lui arracher ses yeux, qu'il ne pose plus jamais ses deux pierres bleus sur moi, ce regard emplit de haine. Je voudrai lui foutre mon poing dans la gueule autant que j'aimerai plaquer mes lèvres sur les siennes, violemment. Maxim... Aujourd'hui, il est ma nouvelle cible et je suis prête à le faire craquer. Je dois passer à autre chose, m'occuper l'esprit. Et quand je ne peux pas faire exploser de cervelles, j'ai besoin d'une occupation...